Fortune fragile !

Le 06/11/2025 0

Dans La Lozère

À la fin du XVIIIème siècle, les Boulet de Drigas semblaient solidement établis sur le causse Méjean : donations fastueuses, dots confortables, troupeaux et terres à perte de vue. Pourtant, moins d'un siècle plus tard, les biens familiaux feront l’objet d’une saisie.
De la grandeur à la fragilité, retour sur une trajectoire emblématique.

A la recherche de vieux journaux sur le site Gallica, je ne pensais pas tomber sur une telle pépite ! Une famille entière de mes aieux citée dans le Journal de la Lozère du 23 mars 1839 , certes pour un revers de fortune mais avec une telle profusion de détails qu'il me faudra plusieurs visites aux archives et plusieurs articles pour tout raconter !
Nous allons nous contenter d'un résumé aujourd'hui.

D'abord, les personnages

Cette famille a une importance particulière pour moi car il s'agit de ma lignée patronymique directe. Le premier Pierre-Jean dont il est question, le patriarche, fut le père de trois de nos ancêtres. Le fils, Pierre-Jean, en engendra deux ! Mais je vous laisse découvrir cela dans l'arbre suivant.

1793 - La donation d'un père aisé

Le 26 février 1793, Pierre-Jean Boulet père réunit notaire et témoins pour un acte solennel : il fait donation à son seul fils survivant, également prénommé Pierre-Jean, de tous ses biens présents et à venir.

L’acte, d’une grande richesse de détails, énumère les dots promises aux filles, les bêtes à laine, les paires de bœufs, les mules… et surtout la valeur globale des biens donnés : 75 000 livres.

« … les biens donnés sont de valeur de soixante quinze mille livres, les meubles, deux cent vingt bêtes à laine compris, que les mules et cinq paires de bœufs sont sus… »

Pour donner une idée : 75 000 livres de 1793 équivalent à plusieurs centaines de milliers d’euros actuels, au bas mot entre 600 000 et 800 000 € en pouvoir d’achat. À l’échelle de la Lozère rurale, c’est une véritable fortune.

Le père se réserve cependant une pension viagère particulièrement confortable : du blé, du vin, de la viande, du tabac, de l’huile, des vêtements, un habit neuf tous les trois ans… autant dire que les Boulet vivaient dans une sécurité matérielle rare sur le Causse.

1794 - Un mariage avantageux

L’année suivante, en mai 1794 (29 floréal an II), le fils, Pierre-Jean Boulet, épouse Marie Caussignac, fille du meunier de Hauterives, dans les gorges du Tarn.

Le contrat de mariage précise la dot :
« … la somme de quatre mille livres, dont deux mille comptant et deux mille à échoir… »

Là encore, pour situer : 4 000 livres représentent environ 40 000 à 45 000 € actuels. La dot est donc loin d’être symbolique : elle inscrit ce mariage dans le cercle des familles notables rurales, meuniers et cultivateurs aisés.

En additionnant les biens apportés par chacun, le couple part dans la vie commune avec l’équivalent d’un capital de plusieurs dizaines d’hectares de terres et d’un cheptel important, ce qui en fait des paysans fortunés.

Coeur

1822 - La mort tragicomique du père

Pierre-Jean Boulet fils, l’héritier principal de cette aisance, connut une fin qui, à force d’être racontée, a pris une tournure presque tragicomique. En 1822, à Hauterives, il perdit la vie d’une manière aussi accidentelle qu’inattendue. L’épisode, transmis de génération en génération, est resté gravé dans la mémoire familiale. Je l'ai déjà évoqué dans l'article : Triste fin à Hauterives

Chute de PJ Boulet

1839 - Tout bascule !

Mais un demi-siècle plus tard, le tableau est bien différent. Le 23 mars 1839, le Journal de la Lozère publie un procès-verbal de saisie immobilière concernant leurs descendants.

L’huissier Meissonnier, de Florac, a mis en juin 1838 sous main de justice la maison familiale, les terres et autres appartenances. L’avis, transcrit au bureau des hypothèques, est rendu public dans le journal un an plus tard : les biens des Boulet sont désormais exposés aux enchères, au vu et au su de tous.

Avis au public

« … furent saisis et mis sous main de justice :

  • Une maison d'habitation composée d'écuries, cave, cuisine et chambres à côté et derrière et d'un galetas vouté servant à engranger le grain [...]
  • Une autre maison d'habitation ayant sa façade au midi, composée d'une grande écurie voutée, cuisine par dessus, ayant son entrée et une petite fenêtre pour l'éclairer au midi, [...]
  • Énumération de diverses pièces de terres et de leur localisation.

Les maisons et pièces de terre ci-dessus et devant désignées, sont situées au lieu et terroir de Drigas, commune d'Hures, canton de Meyrueis ; elles seront vendues à l'audience des criées dudit tribunal civil séant audit Florac, au plus offrant et dernier enchérisseur [...] » (Extraits)

 

L’humiliation est publique : non seulement la famille perd ses biens, mais elle voit son nom et son patrimoine étalés dans les colonnes du journal. 

De la donation fastueuse à la saisie publique, à peine deux générations. Que s’est-il passé entre les deux ? Mauvaises récoltes, héritages dispersés, mésententes ? Le Journal de la Lozère livre les faits, mais les silences de l’histoire restent à déchiffrer.

L'article complet sur le site Gallica

 
 
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