Je n'ai plus de freins !

Le 11/11/2025 0

Dans La Lozère

C'est ce qu'aurait pû crier le nommé Boulet qui descendait la côte de la Malène au printemps 1911.

19110526 paris

Les lacets de la Malène n’ont rien perdu de leur vertige. En les descendant aujourd’hui, on imagine sans peine ce qu’ils pouvaient représenter il y a plus d’un siècle, lorsque les charrettes chargées de bois ou de pierres devaient s’y aventurer, retenues par de simples freins de bois et la force des chevaux. C’est là, sur cette route étroite bordée de ravins, qu’un drame eut lieu au printemps 1911.

Une charrette lourdement chargée, attelée à deux chevaux, venait de quitter Montignac et de s'engager dans la pente quand son frein céda. L’attelage s’emballa, dévala la pente, et finit broyé dans le vide. Le voiturier, un Boulet du Causse Méjean, réussit miraculeusement à se sauver. Mais un habitant de la Malène, accouru pour tenter de porter secours, n’eut pas cette chance : Jean-Baptiste Saint-Pierre, que tout le village appelait “Alphonse”, trouva la mort dans cet acte de dévouement.

(ci-contre photo de la descente du Méjean à la Malène vue du ciel)

Comment freinaient les charrettes à l'époque ?

Freins charrette

Au début du XXème siècle, les charrettes freinaient grâce à des systèmes très rudimentaires, souvent entièrement mécaniques et basés sur la friction :

  • Frein à sabot ou à patin : un bloc de bois ou de métal était actionné par un levier pour venir appuyer directement sur la roue. Cela créait une friction qui ralentissait la rotation. Ce système était courant sur les charrettes à deux roues.
  • Frein à vis : un mécanisme à vis permettait de serrer progressivement le sabot contre la roue, offrant un freinage plus contrôlé, notamment dans les descentes.
  • Freinage par l’attelage : les animaux de trait (chevaux, bœufs) jouaient aussi un rôle dans le ralentissement. En montée ou en descente, le meneur pouvait ajuster leur allure pour compenser l’absence de frein efficace.
  • Calage manuel : dans les pentes, on utilisait des cales en bois ou des pierres pour immobiliser la charrette temporairement.

On imagine sans peine que dans le cas présent, et vue la pente, rien de tout cela n'a été efficace !

Qui était ce prénommé Alphonse évoqué dans le journal ?

Cet « Alphonse », qui s’appelait en réalité Jean-Baptiste Saint-Pierre, était le maréchal-ferrant de la Malène. Âgé de 68 ans en 1911, il était né dans le hameau de Chamblon, sur le causse Méjean, avant de s’établir au village avec son épouse Sophie Solanet pour y exercer son métier. Leur vie de famille fut marquée par le malheur : leurs quatre fils moururent tous en bas âge, et Jean-Baptiste était déjà veuf au moment du drame. L’acte de décès de son épouse n’a pas été retrouvé.

Bien intégré dans la vie du village, on retrouve souvent son nom dans les registres communaux, aux côtés de ses amis instituteur ou menuisier, pour attester des mariages et autres événements civils. Le jour de son accident, il fut transporté, grièvement blessé, chez Fortuné Galtier, marchand de bois à la Malène, où il s’éteignit peu après. Ce sont d’ailleurs ses proches compagnons de plume et de signature, Amédée Poujol et Honoré Ladet, qui déclarèrent son décès en mairie.

Et le propriétaire de la charrette, c'était qui ?

Les différents articles ne sont pas très précis : un dénommé Boulet, cultivateur à Montignac. Boulet étant mon patronyme, j'ai regardé de près toutes les familles de ce nom dans ce coin de Lozère, les Boulet de Montignac ne me sont pas inconnus !

A l'époque des faits, cette famille était représentée par Pierre-Jean Boulet, cultivateur, négociant, marié à Marie-Hortense Agrinier, père de famille âgé de 64 ans. C'était certainement lui le conducteur de la charrette qui livrait du bois dans la vallée, ou alors son fils ainé Marius Amédée qui avait 38 ans. 

Était-ce Pierre-Jean ou son fils Marius Amédée qui conduisait la charrette ce jour-là ? Les journaux ne le disent pas. Ce qui est sûr, c’est que la route des lacets de la Malène, déjà redoutée à l’époque, n’a rien perdu de son caractère impressionnant. Pour ma part, je parviens à la gravir sans difficulté… mais la descendre reste un défi. Et je ne suis sans doute pas la seule : dans ces contrées, les routes se mesurent autant en temps et en appréhension qu’en kilomètres !

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