Semaine 28 : l'assassinat des Sigaud de Favars

Le 10/07/2022 0

Dans Les Lozériens

Il y a eu, pendant la sombre période de la Terreur, des exactions de part et d'autre des camps. Lors de mes recherches, je suis tombée sur cette histoire qui se passe dans les environs de Lavernhe, en Aveyron, et qui a été reprise dans de nombreux ouvrages disponibles sur Gallica. Voici ce que cela raconte ...


le château se situe au hameau de St-Privat à 2 km au sud ouest de Lavernhe, dans l'angle des deux monts. Elle était la propriété de la famille de Sigaud, de noble origine et présente depuis plusieurs générations avant la Révolution. Gaspard De Sigaud était juge royal à Lavernhe mais acquis aux idées révolutionnaires. Il fut tué lui et son frère par les Chouans de l'Aveyron en 1793.   La famille De Sigaud s'allia ensuite à la maison de Lescure puis à la famille Montély.  Aujourd'hui transformé en chambres d'hôtes par Richard Focken.

Domaine de Favars

La famille Sigaud

Jean Baptiste Sigaud était Avocat en parlement, conseiller du Roi et juge royal de Lavernhe. Il était également le petit-fils de Georges Fages, bourgois du Massegros, mon sosa 1086. Né vers 1725, il avait épousé en 1755 Marguerite OLIER de Saint-Beauzély dont il eut 7 enfants. Ce sont ses deux fils Jean-Pierre Jacques "Gaspard" et Jean-François "Alexis" qui nous intéressent ici.

Famille Sigaud

Les deux frères

Jean-Pierre-Jacques-Gaspard de Sigaud, ancien juge de la terre de Lavernhe, puis juge au tribunal de district, passait dans sa terre le temps que lui laissaient ses fonctions. Il avait embrassé la cause révolutionnaire, mais avec la modération et la droiture d'une âme honnête et vertueuse, qui espérait trouver la réforme des abus et un meilleur avenir pour sa patrie. Aux charmes d'une éducation polie, il joignait encore les mœurs les plus douces. Appelé aux redoutables fonctions d'accusateur public à Rodez, jamais, durant son ministère, il ne conclut à la peine capitale, ni ne prit part à aucun arrêt de mort.
On raconte encore de lui des traits touchants.
Pendant sa magistrature , il dédommagea, par une forte somme, un individu qu'il reconnut avoir été condamné par erreur.
Peu de temps avant sa mort, il disait à sa fidèle domestique, Anne Causse : « Les temps vont devenir affreux ; je pourrais me compromettre, mais toi même et en ton nom, découvre les prêtres, les proscrits, les malheureux ; ma place me suffit ; Je te livre mes revenus, et fais secrètement autant de bien que tu le pourras »

D'après Documents historiques et généalogiques sur les familles et les hommes remarquables du Rouergue.
Auteur : Hippolyte de Barrau

Son frère cadet, Jean-François Alexis, était maire de Lavernhe. Touché par balles lors de l'attaque que nous allons relater, il est mort peu après son frère, dont il a rédigé l'acte de décès. Ils étaient célibataires tous les deux.

Ce jourd'hui quinze septembre an que dessus par devant moi Alexis Sigaud membre du Conseil général de la commune de St Privat élu pour recevoir les actes destinés à constater les naissances mariages et décès des citoyens dud lieu sont comparus en la maison commune dud lieu Joseph Majorel âgé de trente trois ans, et Anne Causse âgée de trente six ans, le premier valet du citoyen Gaspard Sigaud et la seconde sa servante lesquels m'ont déclaré que led Gaspard Sigaud est mort âgé de trente huit, hier à sept heures du soir d'une mort violente par un assassinat dont j'en suis moi même témoin ainsi qu'il constate par procès verbal du présent jour du citoyen Vaquier labaume juge de paix de la ville et canton de Séverac et officier de police après vérification faite par Ginesty officier de santé dud Séverac. Et j'en ai dressé le présent acte que led témoin Majorel a signé non lad Causse pour ne savoir de ce requis. Fait à la maison commune de St Privat lesd jour quinze septembre mil sept cent quatre vingt treize l'an 2 de la République. Alexis Sigaud officier public.

Les récits de l'attaque du château

Le document ci-contre est extrait de "Histoire de Séverac le Château" par l'abbé François Julien, disponible sur Gallica.

Le récit donné par Hippolyte de Barrau (référence mentionnées plus haut), est sensiblement le même :

Le 14 septembre 1793, à huit heures du soir, il (Gaspard Sigaud) revenait de voyage. A peine entré dans son domicile, il avait embrassé sa mère, qu'on frappe à la porte à coups redoublés, demandant à parler au maire (son frère cadet).
La maison de Favars est solitaire, dans l'angle de deux montagnes couvertes de bois épais qui la ceignent et la dominent. C'était un soir de foire. Un domestique, pris de vin, allait joyeusement ouvrir ; la servante Anne Causse le retint, le repoussa de la porte et même, par une sorte de pressentiment, courut avertir ses maîtres. La fatalité voulut qu'en ce même instant, un autre domestique arrivât dc dehors. A sa voix, la porte s'ouvre, et soudain une troupe armée s'élance et atteint la porte intérieure au moment où la servante fugitive la fermait  sur elle. Un faible verrou a bientôt cédé à des efforts impétueux. Les domestiques, glacés d'effroi, restent immobiles ; le tumulte était parvenu au salon. Sigaud se lève et se présente, un flambeau à la main ; il est accueilli par des menaces et des violences. Son frère, le voyant frappé d'un canon de fusil, veut lui faire un rempart de son corps, et reçoit à bout portant deux coups de pistolet dans Ie flanc gauche. ll tombe, et se traine pourtant jusqu'à la chambre où il s'évanouit.
Au même instant, le plus apparent de la troupe se tourné vers l'ainé dont la contenance imposante et calme semblait suspendre les coups, et s'écrie d'une voix forte : "Feu ! Feu !" Deux coups de fusil partent, l'atteignent à la poitrine : il tombe mort. Vingt domestiques étaient comme anéantis la face contre terre. Un seul s'élance vers le salon, c'était Anne Causse. En vain on la repousse, elle se jette sur son malheureux maitre, fendant l'air de ses cris. Les meurtriers l'en arrachent, mais elle leur échappe encore lorsqu'elle voit sa maitresse menacée, et, lui faisant un rempart de son corps, elle supplie, conjure d'emporter tous ses biens, mais d'épargner sa vie. Un si généreux dévouement méritait de passer à la postérité.
Cependant les assaillants, entrainés par l'ardeur du pillage, quittent ces infortunés pour fouiller la maison. Anne Causse profite d'un moment d'absence, met la tête à une fenêtre, fait signe à sa maitresse, et, sans hésiter, Mme Sigaud, âgée de 67 ans, se jette à dix pieds d'élévation sur le pavé de la cour. Sa servante la suit, la relève, mais elle chancelle : elle vient se se fracturer un pied. N'importe, elle se traine dans une petite grange au coin de la basse-cour. Se souvenant bientôt qu'on avait parler d'incendier la maison, les deux fugitives sortent de cette retraite par une petite porte qui donnait en dehors. A peine ont-elles fait cent pas en se trainant péniblement, qu'elles entendent la voix de ceux qui gardaient les avenues. Elles se croient découvertes. Tremblantes, elles franchissent les murs du jardin. Les efforts de Mme Sigaud étaient à bout, la douleur l'empêche d'avancer. Anne Causse ne balance pas à la charger sur ses épaules, et, courbée, faiblissant à chaque pas sous le fardeau que soutient son dévouement, elle parvient, excédée de fatigue, sur le bord d'un ravin au fond duquel elle dépose sa maitresse, la couvre de feuilles sèches et court au village de Lavergne appeler du secours.
Pendant ce temps, la horde, chargée de butin, se disposait à mettre le feu, lorsque deux de ses gens effarés viennent lui donner avis de l'évasion des deux femmes. Cette nouvelle trouble les bandits, ils se groupent, délibèrent à voix basse, et bientôt défilent en silence. Ainsi se termine cette épouvantable scène.

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