Oublié en Guyane : le cas François Xavier Lafon

Le 17/11/2025 0

Dans La Lozère

Pour la lettre O, j’ai choisi de vous raconter le destin de François Xavier Lafon, un bagnard oublié, retrouvé dans les registres des Archives Nationales d’Outre-Mer.

Qui était-il ?

François Xavier est né en 1870, du mariage de Philippe Lafon et Marie Julier, qui étaient cultivateurs à la Caxe, petit hameau sur le Causse Méjean dépendant du village des Vignes. Il faisait partie des derniers-nés d'une fratrie de sept enfants.

Sur sa fiche matricule, il est décrit ainsi  : "Cheveux et sourcils noirs, yeux gris, front ordinaire, nez moyen, bouche grande, menton et visage ronds, taille 166 cm". Il savait lire et écrire, car son niveau d'instruction était de 3.

Cette fiche nous apprend également que ce n'était pas un enfant de choeur : dès 1889, il fut condamné à 8 mois de prison pour vol de moutons, puis l'année suivante à 50 francs d'amende pour chasse en temps prohibé. Il braconnait, quoi ...

La Caxe

Il effectue cependant son service militaire sans trop de remous, essentiellement en Algérie entre 1891 et 1894 ; le certificat de bonne conduite lui est même accordé.

Dès sa démobilisation, les choses se compliquent ... La Cour d'Appel de Nîmes en 1895 pour vols et en 1898, la Cour d'Assises de la Lozère le condamne à 6 ans de travaux forcés pour crimes et vols qualifiés.

Fiche matricule Lafon

 

Mais qu'avait-il fait exactement ?

C'est dans le Moniteur de la Lozère du 13 mars 1898 que l'on retrouve les crimes dont il est accusé. Les vols dont on l'accuse ont été réalisés sans violence puisque les victimes n'étaient pas chez elles. Ces délits sont répréhensibles mais, pris isolément, ils n'auraient pas dû mener à une peine aussi lourde. Pourtant, le couperet tombe : travaux forcés en Guyane, assortis de la relégation perpétuelle. Pourquoi une telle sévérité ?

La réponse se trouve dans la loi de 1885 sur les récidivistes, qui marque un tournant dans la politique pénale française. Cette loi ne s’intéresse plus à la gravité des faits, mais à leur répétition. Un individu ayant déjà été condamné plusieurs fois, même pour des délits mineurs, est désormais considéré comme irrécupérable. La justice ne cherche plus à corriger, mais à éloigner définitivement.

La relégation perpétuelle, peine complémentaire à la transportation, signifie que Lafon ne pourra jamais revenir en métropole. Même après avoir purgé sa peine principale, il restera assigné à résidence en Guyane, dans un camp de relégués, jusqu’à sa mort.

Cette logique pénale, fondée sur l’utilitarisme colonial, transforme les récidivistes en main d'oeuvre bon marché pour les colonies. Le bagne devient un outil de peuplement autant que de punition. Lafon, comme tant d’autres, est ainsi envoyé à l’autre bout du monde, non pour la gravité de ses actes, mais pour son profil jugé indésirable.

Saint-Laurent du Maroni : une machine à broyer

En 1898, lorsque François Xavier Lafon est condamné à la transportation, le bagne de Guyane est en pleine activité. Créé en 1852 pour désengorger les bagnes métropolitains, il est devenu un outil de punition, de colonisation et d’exclusion sociale. Le voyage commence à Saint-Martin-de-Ré, où les condamnés sont regroupés avant d’être embarqués vers l’enfer vert. Lafon embarque pour la guyanne le 6 décembre 1898.

À leur arrivée, les bagnards sont répartis entre plusieurs camps : les îles du Salut, Cayenne, Saint-Jean-du-Maroni… mais c’est Saint-Laurent-du-Maroni qui constitue le cœur du système. C’est là que Lafon passera l’essentiel de sa vie, jusqu’à sa mort.

La vie au bagne est rythmée par les travaux forcés : défrichage, construction de routes, entretien des infrastructures coloniales. Les conditions sont inhumaines : chaleur étouffante, maladies tropicales, malnutrition, violences. Le bagne est conçu pour briser les corps et les volontés.

Mais Lafon ne se résigne pas. Les archives révèlent plusieurs tentatives d’évasion, preuve d’une volonté farouche de retrouver la liberté. Ces tentatives sont sévèrement punies : cachot, fers, prolongation de peine. Pourtant, il recommence. Chaque fuite avortée est une protestation silencieuse contre un système qui ne laisse aucune échappatoire.

Evasions Lafon

 

Bagne de Saint laurent  : camp de la transportation

En 1921, après plus de deux décennies passées au Camp de la transportation, François Xavier Lafon est transféré au camp de relégation, ultime étape d’un parcours pénal sans issue. Ce passage marque la fin de toute illusion de liberté : désormais, il n’est plus un forçat en peine, mais un relégué à vie, condamné à survivre dans les marges de la colonie.

Trois ans plus tard, en 1924, il meurt à Saint-Laurent-du-Maroni, loin de sa terre natale, loin de tout recours. Aucun rapatriement, aucun monument, aucune réhabilitation. Juste une trace dans les archives, un matricule, et le silence...

Mort Lafon
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