G comme grotte ... ou Géraud

Le 08/11/2021 0

Dans Les Lozériens

Pour cette lettre G, j'ai envie de vous raconter l'histoire de Jean-Géraud Arnal, curé sur le Causse Méjean, prêtre réfractaire qui, avant d'être exécuté à Meyrueis, s'est réfugié dans une des nombreuses grottes à flanc de falaise dans les gorges du Tarn.

Le contexte historique

Le Décret contre les prêtres réfractaires du 29 novembre 1791 est un décret de l'Assemblée législative visant les membres du clergé qui refusaient de prêter serment à la Constitution civile du clergé.

Le texte de ce serment élaboré par l'Assemblée nationale constituante était le suivant :

« Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse [ou du diocèse] qui m'est confiée, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi. »

Ce décret dispose que le clergé s'engage à accepter et maintenir la Constitution civile du clergé1. Le refus entraîne la destitution. Le décret du 27 novembre 1790 rend ce serment obligatoire.

En Lozère, à part les Cévennes protestantes où la population est plutôt favorable aux idées révolutionnaires, seuls 20 sur 250 prêtres prêtent le serment. Dès lors, deux clergés se cotoient et se rejettent mutuellement. Le plus grand nombre des croyants reste fidèle à leurs anciens curés et les prêtres assermentés sont accueilis par des invectives, des menaces, quand ce n'est pas par des jets de pierre. Dans quelques communes, deux curés sont présents et exercent leur ministère : le prêtre assermenté, nouvellement arrivé qui occupe l'église et le presbytère, et le curé de la paroisse qui a refusé le serment.

Jean Géraud Arnal

Jean-Géraud Arnal est né vers 1737 à Pailhas, village à côté de Rivière-sur-Tarn en Aveyron. Il fut tout d'abord vicaire au Bourg, en l'église de Saint-Jean Baptiste de Clauselles, et ensuite curé de Saint-Pierre des Tripiers. Son dernier acte curial dans cette paroisse est du 7 septembre 1792. A la fin de son registre paroissial, son successeur a écrit cette note : "Ici finit la signature de M. Arnal, recteur. Le martyr lui a ôté la plume pour lui donner la couronne céleste."

Après avoir refusé avec beaucoup de vigueur de prêter le serment constitutionnel, il se réfugia pendant deux ans dans une grotte à flanc de falaise, sous le village de la Bourgarie, d'où il sortait clandestinement pour exercer son ministère et visiter ses ouailles. Il était ravitaillé par sa nièce, Marie-Jeanne Arnal, ainsi que par un certain nombre de ses paroissiens qui lui étaient restés fidèles.

Il fut dénoncé par Jean-Antoine Caussignac, habitant de Cassagnes, qui fut nommé par la suite Président de la Municipalité de la Parade.

Arrêté et condamné à mort, il fut emmené à Meyrueis et fusillé au Pré Nouvel le 12 juillet 1794.

Selon les récits, Florit de la Tour, prêtre constitutionnel de la Parade et administrateur du district de Meyrueis, lui aurait dit : « Je vous plains, mon cher confrère » Renouvelant la réponse de Bayard mourant au connétable de Bourbon, Arnal dit à Florit : « Ce n'est pas moi qui suis à plaindre, c'est vous.» Il commença à réciter le Miserere ; il fut inhumé près de la chapelle de la Sainte Vierge.

St pierre

Sur la façade de l'église est fixée une plaque indiquant ceci :

L'église Saint-Pierre remonte à la fin du XIème siècle. Elle fut fondée par les moines bénédictins du ministère voisin du Rozier qui mirent le pays en culture à cette époque. Le nom même du village témoigne de ces origines. En effet, ici point de traces étymologiques de marchands de tripes et d'abats ... mais plutôt de moines défricheurs et aménageurs : Sanctus Petrus de Stirpia maladroitement traduit en "Saint Pierre des Tripiers".

Lors de la Révolution de 1789, la grande majorité du clergé du département de la Lozère refusa de prêter le serment constitutionnel. Jean Géraud Arnal, curé de Saint-Pierre, ne dérogea pas à cette règle. Une répression féroce s'abattit rapidement. L'abbé Arnal, caché dans une grotte des environs qui porte encore son nom, fut dénoncé et arrêté. Jugé et condamné à Mende, il fut fusillé à Meyrueis sur la place du Champ de Mars.

Quelques récits et traces de son histoire

Dans la grande falaise dolomitique qui couronne les gorges du Tarn, entre Blanquefort et le Ron rouge, où planent les vautours, la roche présente un accident remarquable. « Une rainure rectiligne, gravée en creux dans la pierre, remonte de la base à trente mètres de haut, puis s'infléchit à gauche, s'évase et forme un orifice à peu près circulaire, qui sert d'entrée à une belle caverne. D'en bas, rien ne fait soupçonner l'existence de cet asile, dont l'entrée se cache derrière un pli de rocher. La grotte, si elle est accessible, ne peut l'être que par le sillon perpendiculaire, incisé à vif par la nature dans l'épaisseur de la masse ; il peut avoir un mètre de largue, un peu moins de profondeur. Pour aller du sol à ce nid d'aigle, vous demanderiez les ailes de l'oiseau. Ce tour de force n'est pourtant qu'un jeu pour les poignets d'acier du jeune pâtre de la montagne, qui visite quelquefois la caverne, précisément parce qu'il y a quelque difficulté à le faire, et, quand l'orage tonne au dehors, quand les ardeurs de la canicule embrasent la falaise, il a cette aire pour asile et se passe le plaisir de roi de manger son pain noir dans la grotte de M. Arnal.

C'est là en effet que s'était réfugié le curé de Saint Pierre-des-Tripiers, attendant la fin des mauvais jours dans la prière et recevant d'en haut, au bout d'une corde, les vivres et quelquefois le billet qui l'avertissait des besoins spirituels de sa paroisse. C'était un prêtre édifiant par sa charité. "Les vieillards, dit le conférencier de 1852, nous assurent que, lorsque encore jeunes ils assistaient à ses catéchismes, il retenait, après l'instruction, ceux d'entre eux qui étaient pauvres, pour leur donner un repas. » Un soir qu'il rentrait d'une course apostolique, sous une pluie qui rendait les rochers plus glissants, il ne put remonter dans son aire qu'en laissant en bas ses souliers et son manteau. Quand il redescendit, le matin, pour les prendre, il fut pris lui-même par des volontaires de l'Ariège, guidés par Caussignac, un de ses paroissiens. Conduit à Mende, il fut interrogé le 12 juillet 1794.

- Pourquoi te réfugiais-tu dans les cavernes ? 
Parce que je craignais d'être arrêté.
- Tu te sentais donc criminel, des lors que tu craignais d'être arrêté ?
Je n'avais pas prêté le serment prescrit par la loi parce qu'il répugnait à ma conscience.
- Étais-tu seul dans cette caverne ?
J'y étais avec ma nièce.
- N'y as-tu pas été avec de tes collègues ?
- Non.
- Qui vous procurait des vivres ?
Ma nièce les apportait.
- Comment se nomme-t-elle ?
Marie Jeanne Arnal, de Palias, commune de Compeyre, district de Milhau.
- N'as-tu pas habité dans ces mêmes gorges depuis un certain espace de temps avec d'autres prêtres ?
Non.
- Ne sais-tu pas l'endroit ou se retirent d'autres prêtres réfractaires ?
Non.
- N'as-tu pas été de l'attroupement de l'infâme Charrier ?
Non. 

Extrait de : La Révolution en Lozère, Abbé Pierre J.B Delon, 1922.

Table du premier registre des jugements révolutionnaires rendus par le Tribunal Criminel de la Lozère du 2 juin 1793, jugement qui condamne à mort les dénommés ci-après : Tribunal Révolutionnaire Lozère 1793 - Madeleine Delplanque


La dénonciation de Jean-Antoine Caussignac ne fut pas laissée sans représailles :

Voici d'abord la plainte de Jean Antoine Caussignac, de Cassagnes, celui-là même qui avait livré l'abbé Arnal, curé de Saint-Pierre-des-Tripiers. Le 3o prairial an III (18 juin 1795), quatre brigands armés, barbouillés de noir, se présentent chez lui ; pendant que l'un fait sentinelle à la porte, les autres lui mettent le bout du fusil sur la poitrine, en lui disant « qu'ils étaient là pour le désarmer et qu'ainsi il avait à rendre ses armes."
Caussignac, voyant que les brigands n'avaient pas de mandat légal et les croyant décidés à l'assassiner, « fit semblant de chercher un pistolet qu'il dit avoir caché en un trou au col de la citerne,s'y précipita et se garantit de la mort certaine qui l'attendait, puisque les brigands firent tout ce qu'ils purent, pour l'assommer, en Jetant dans la citerne toutes les grosses pierres qui en fermaient l'entrée, et qu'ils ne désemparèrent que lorsqu'ils le crurent enseveli sous les ruines, ne l'ayant pu apercevoir à cause de la quantité de papier qu'ils y jetèrent allumé. Argent, assignats, linge, tout fut pillé et, en s'en allant, « les brigands, fiers du butin, criaient dans le village de Cassagnes que, n'y ayant plus de république, il fallait exterminer tous les républicains.»
Caussignac se plaint encore d'avoir été « assassiné» une autre fois, « à raison de la constante fermeté qu'il a toujours montrée pour maintenir le règne de la Liberté, et qu'il ne peut se dissimuler que quasi tous les habitants de sa commune (St- Pierre-des-Tripiers), comme zélés sectateurs des apôtres du fanatisme royal et sacerdotal, se sont notoirement coalisés contre lui, disant ouvertement « qu'ayant été la cause de l'arrestation d'Arnal, curé de Saint-Pierre, on doit lui courir dessus, pour n'avoir pas voulu, comme tous ses concitoyens,
favoriser les prêtres réfractaires, qu'ils appellent les martyrs de la religion; que ce motif fanatique avait fait une telle fermentation dans les esprits qu'il ne pouvait plus rester chez lui.
Voilà pourquoi Caussignac quitta sa femme et ses sept enfants, dont l'ainé n'avait que quatorze ans, pour se réfugier dans les chemins escarpés des côtes de la Jonte.

Extrait de : La Révolution en Lozère, Abbé Pierre J.B Delon, 1922.

Cohabitation difficile entre l'abbé Florit et l'abbé Arnal

Florit

Jeanne Michel veufve de pierre jean gal de la Borie en notre paroisse agée d'environ soixante et deux ans est décédée le quatrième jour de May mil sept cents quatre vingt douze ; et attendu que depuis que le fanatique prêtre Arnal se dit curé de cette paroisse la dite défunte ne nous a plus reconnu pour son curé, nous l'avons faite enterrer comme une inconnue en la présence de nous curé soussigné par jacques daille et françois severac dudit lieu, alexis julien du Bedos, et louis vales de glasines paroisse de liaucous qui l'ont portée en terre et ont été avec jean gal son beau frère les seuls qui ayant paru, tous illetrés requis de signer dont acte.

https://archives.lozere.fr/ark:/24967/vta400a000daaff4a2e/daogrp/0/23

Arnal

Le vingt quatre du mois de septembre mil sept cent quatre vingt douze est décédé Pierre Jean Gal du lieu de la Borie âgé d'environ vingt deux ans, après avoir reçu les derniers sacrements et a été enseveli dans le cimetière de la Parade sans cérémonies, mr florit curé ayant refusé de faire la sépulture.

https://archives.lozere.fr/ark:/24967/vta400a000daaff4a2e/daogrp/0/59

Pour terminer un article de la Croix de l'Aveyron du 23 juillet 1905

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