Les Tribulations d'un instituteur de campagne

Le 26/05/2023 0

Dans Les Lozériens

3 mars 1829, un mariage est officialisé à la mairie de Meyrueis. Il s'agit de celui de Jean-Victor Boulet, jeune instituteur de 27 ans, et de Marie-Anne Maurin, jeune fille de Meyrueis âgée de 18 ans.
C'est encore une fois aux travers les actes de naissances et de décès de leurs nombreux enfants que nous pouvons reconstituer les différentes localités où Jean-Victor a exercé et suivre la vie de ce couple jusqu'à leur mort.

Mariage

Qui sont-ils ?

Avant tout mes sosas 40 et 41... 

Jean-Victor est né en 1801 d'une famille de cultivateurs établie à Drigas sur le Causse Méjean. C'est son frère ainé, Pierre-Jean, qui a repris la ferme après la mort de leur père en 1822. Même si la famille Boulet semblait relativement aisée, pas de place pour deux sur la ferme. Jean-Victor sera instituteur, les filles se marieront dans les villages alentours, les autres garçons tenteront leur chance vers les villages de leurs épouses et ... le plus jeune sera ordonné prêtre. 

Marie-Anne, née à Meyrueis en 1811, est la fille de Jean-Baptiste Alban Maurin, serrurier à Meyrueis. La famille Maurin, négociants, tailleurs d'habits de la ville depuis le 18ème siècle, jouit d'une certaine notoriété. Marie-Anne n'a qu'un frère plus jeune, serrurier comme son père, leur mère étant décédée à la naissance de ce dernier.

 

Leur niveau de vie

Leur contrat de mariage, établi un mois plus tôt, donne le montant de la dot de Marie-Anne :

En faveur dudit mariage et pour aider à en supporter les charges le père de la future épouse lui a donné et constitué en dot la somme de quatorze cents francs dont douze cents francs du chef paternel et deux cents francs du chef maternel [...]. En même faveur dudit mariage le sieur Pierre Avesque, agriculteur demeurant à Drigas, oncle de la fiancée lui a fait donation d’entrevifs d’une somme de cent francs [...]. De son propre chef la future apportera jour de noces et la solennisation du présent mariage lui vaudra quittance et reconnaissance d’une croix avec son cœur le tout d’or de valeur de vingt francs, quatre bagues en or dont deux unies, une à plaque et une avec des pierres en couleur, de valeur les quatre de vingt cinq francs et d’un clavier en argent de valeur de vingt francs et une armoire de cinquante francs.

Sortons la calculette : 1 400 + 100 + 20 + 25 + 50 = 1 595 francs.

La dot de Marie-Anne était confortable, et devait permettre au jeune couple de s'installer sereinement. A cela s'ajoutera à partir de la loi Guizot de 1833, le traitement dû aux instituteurs, dont la part fixe ne pouvait être inférieure à 200 francs annuels. Loi Guizot. La mère du promis, Marie Caussignac, veuve autoritaire, devait se frotter les mains. Jean-Victor était le premier enfant à se marier, et ce premier mariage était pécuniairement réussi.

 

Une dizaine d'années de tribulations ...

En 1829, Jean-Victor est instituteur primaire à Rivière-sur Tarn. Les écoles normales sont encore balbutiantes et Jean-Victor n'y a sans doute pas été formé. Pour exercer, il est exigé un brevet de capacité aux maîtres d'école et un certificat de bonne conduite du curé et du maire de la commune. 

Voici les différents postes occupés par Jean-Victor jusqu'en 1841 : 

Poste Date Notes Acte
Rivière-sur-Tarn 2 mars 1829 Mariage de Jean-Victor et Marie-Anne L'an 1829 et le 2 mars par devant nous maire officier de l'état civil de la commune de Meyrueis, département de la Lozère, est comparu sieur Victor Boulet instituteur né au village de Drigas commune d'Hures, susd département le 10 décembre 1801 ainsi qu'il résulte de son acte de naissance délivré par le Sr Sanguinède maire de la commune d'Hures, fils majeur et légitime de défunt Pierre Jean Boulet décédé au lieu d'Alterives (Hauterives) en ce département le 10 du mois d'avril 1822, ainsi qu'il résulte de son acte de décès délivré par le sieur  Sanguinède, et de survivante Marie Caussignac ménagère demeurant audit lieu de Drigas, led Victor Boulet résidant à Rivière, commune dudit département de l'Aveyron d'une part [...]
24 mars 1830 Naissance de leur premier enfant, Marie-Anne L'an 1830 et le 25 mars, à onze heures du matin par devant nous maire, officier de l'état civil de la commune de Rivière, canton de Peyreleau, département de l'Aveyron, est comparu le sieur Jean Victor Boulet âgé de vingt sept ans, instituteur résidant au lieu et commune de Rivière, lequel nous a présenté un enfant de sexe féminin né audit lieu de Rivière à onze heures du soir du jour d'hier, de lui déclarant et de Marie Anne Maurin son épouse, et auquel il a déclaré vouloir donner les prénoms de Marie-Anne. [...]
Hures 31 janvier 1832 Naissance de Jean-Victor Alban ; le petit n'a vécu que 22 jours, décédé le 22 février de cette même année L'an 1832 et le premier jour du mois de février heures de dix du matin par devant nous maire officier de l'état civil de la commune d'Hures canton de Meyrueis, département de la Lozère est comparu le sieur Jean Victor Boulet âgé de trente quatre ans instituteur restant au lieu et commune d'Hures lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin né le trente un janvier dernier à six heures du matin de lui déclarant en sa maison à Hures et de Marie Anne Maurin âgée de vingt huit ans ménagère son épouse et auquel il a déclaré vouloir donner les prénoms de Jean Victor Alban [...]
1er mars 1833 Naissance de Pierre-Jean Victor Alban (on peut noter "l'originalité" des prénoms !) L'an 1833 et le 2 mars par devant nous maire adjoint de l'état civil de la commune d'Hures canton de Meyrueis département de la Lozère est comparu sieur Victor Boulet de Drigas âgé de 32 ans instituteur lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin né le premier du mois et an que dessus de lui déclarant et de Marie Anne Maurin son épouse auquel il a déclaré vouloir donner les prénoms de Pierre Jean Victor Alban [...]
Fraissinet de Fourques 3 janvier 1835 Naissance de Marie-Mélanie.
Leur première fille, Marie-Anne est décédée à Fraissinet, le 14 mars de cette même année à l'âge de 5 ans.
L'an 1835 et le troisième jour du mois de janvier par devant nous Pierre Lapierre maire et officier de l'état civil de la commune de Frayssinet de Fourques canton de Meyrueis département de la Lozère est comparu Jean Victor Boulet instituteur primaire de cette commune âgé de trente deux ans lequel nous a déclaré que Marie Anne Maurin son épouse s'est accouchée ce jourd'hui dans sa maison d'habitation audit Fraissinet d'un enfant de sexe féminin et auquel il a déclaré vouloir donner les prénoms de Marie Mélanie Boulet [...]
La Malène 10 décembre 1836 Naissance de Jean-Baptiste Alban L'an 1836, le onzième jour du mois de décembre, à dix heures du matin, par devant nous Benoit Julien Chr de Roquetaillade, maire officier de l'état civil de la commune de la Malène, canton de Sainte-Enimie, département de la Lozère, est comparu Jean Victor Boulet âgé de 34 ans, instituteur dudit la malène, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né le jour d'hier à une heure de l'après-midi, de lui déclarant en sa maison dudit la Malène et de Marianne Maurin âgée de 25 ans, sans profession son épouse et auquel il a déclaré vouloir donner les prénoms de Jean-Baptiste Alban [...]
Meyrueis 9 juin 1839 Naissance de Marie-Sophie.
Leur seconde fille, Marie-Mélanie, est décédée à Meyrueis le 13 juin 1840 à l'âge de 5 ans
L'an 1839 et le neuf juin à une heure de l'après-midi par devant nous Calixte Avesque adjoint à la mairie de Meyrueis, monsieur le maire empêché remplissant les fonctions de l'état-civil de la commune de Meyrueis département de la Lozère est comparu Sr Jean Victor Boulet âgé de 37 ans instituteur habitant à la ville de Meyrueis lequel nous a déclaré que cejourd'hui à dix heures du matin est né un enfant du sexe féminin de lui déclarant et de Marie-Anne maurin âgée de 23 ans, sans profession son épouse, qu'il nous a présenté et auquel il a déclaré vouloir donner les prénoms de Marie-Sophie [...]

 

... avant de se fixer à Hures

Certes, les différents postes qu'il a occupé restent tout de même assez proches de son village natal, rien à voir avec les possibles mutations vécues de nos jours !
C'est à partir de 1841 et la naissance de mon arrière-arrière grand-père Jean-Baptiste "Joseph" que Jean-Victor obtient définitivement le poste d'instituteur à Hures, où il restera jusqu'à sa mort en 1871. Il remplira également les fonctions de secrétaire de mairie, comme beaucoup d'instituteurs de l'époque, ce qui leur permettait d'arrondir les fins de mois. 

Six autres enfants sont nés à Hures, le dernier en 1859. Tous les enfants de Jean-Victor, filles comprises, savaient lire et écrire, privilège sans doute des enfants de l'instituteur, car dans ces villages où le français est longtemps resté "langue estrangère", l'illettrisme est resté la norme jusqu'aux débuts du 20ème siècle.

 

Sources

 "Le temps des instituteurs", formidable blog où j'ai trouvé l'histoire de l'enseignement et son évolution aux travers des siècles.

Retracer la carrière d'un instituteur, Archives et Culture (2011)

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