L’épisode de La Malène n’est pas seulement une querelle de clocher : il illustre parfaitement le climat tendu qui règne alors entre l’Église et la République.
Depuis les lois scolaires de Jules Ferry (1881-1882), l’instituteur est devenu une figure centrale du village, chargé non seulement d’enseigner à lire, écrire et compter, mais aussi de transmettre les valeurs de la République. Face à lui, le prêtre reste un repère moral et spirituel, soutenu par une presse catholique locale très active, comme la Croix de la Lozère. Les deux figures — l’instituteur et le curé — symbolisent deux conceptions du monde qui coexistent difficilement.
Dans les campagnes, cette rivalité se cristallise souvent autour d’événements de la vie quotidienne : un enterrement, une fête locale, une élection municipale. L’instituteur Adrien Delon, en prononçant un discours trop “laïque” sur la tombe d’un ancien zouave pontifical, se place de facto dans le camp républicain, au grand dam de ceux qui voulaient voir exaltée avant tout la foi du défunt. D’où la riposte cinglante du journal catholique, qui se moque de son style, l’accuse de pédantisme et souligne son absence de ferveur religieuse.
Les Gorges du Tarn, terre profondément marquée par le catholicisme, a connu de fortes résistances face à cette “école sans Dieu” qui venait concurrencer l’influence de l’Église. On retrouve ici un exemple concret de cette lutte d’influence : à travers un simple discours d’enterrement, ce sont deux visions de la société qui s’opposent, chacune tentant de rallier l’opinion publique.
L’écho est national : à la même époque, de nombreux journaux, tant républicains que catholiques, relaient ce type de polémiques locales. L’affaire Delon, au fond, n’est qu’une variation lozérienne d’un conflit beaucoup plus large : celui de la laïcisation progressive de la société française, qui culminera quelques années plus tard avec la loi de séparation des Églises et de l’État (1905).