Vilipendé par les cathos !

Le 25/11/2025 0

Dans La Lozère

Titre un peu provocateur, certes, mais pour les besoins de la lettre du jour !

Synomynes de vilipender : attaquer, bafouer, décrier, dénigrer, injurier, mettre au pilori, traîner dans la boue, vouer aux gémonies, vitupérer (littéraire), honnir (vieux ou littéraire) 

C'est dans la Croix de la Lozère du 26 février 1893 que l'instituteur du village de la Malène, Adrien Delon, fit l'objet d'un article dans lequel il fut "rhabillé" pour plusieurs hivers ! 

Dans la petite commune de La Malène, au cœur des Gorges du Tarn, un enterrement vire en polémique publique. Nous sommes en 1893 : Théophile Monginoux, ancien zouave pontifical, juge de paix, maire et figure respectée du village, vient de mourir. La presse catholique lui rend de vibrants hommages, insistant sur sa foi et son engagement chrétien.

Mais l’instituteur du village, Adrien Delon, invité à prononcer un discours, n’a pas suivi le scénario attendu. Au lieu d’insister sur la piété du défunt, il a choisi une prose plus neutre, davantage républicaine que religieuse. Mal lui en prit : la Croix de la Lozère se déchaîne, publiant un long article où elle se moque de son style, souligne ses maladresses, et surtout l’accuse d’avoir oublié “la note chrétienne” qui convenait. Un vrai épisode de Don Camillo avant l’heure, où la plume devient une arme, et où chaque camp cherche à tirer la couverture à soi.

Don camillo

Il faut dire que les Monginoux n’étaient pas n’importe qui dans le village. Établis à La Malène depuis le début du XVIIIème siècle, ils avaient donné plusieurs maires à la commune et étaient connus pour leur engagement catholique, au point d’avoir caché des prêtres réfractaires pendant la Révolution. Théophile, le défunt, portait en lui cette histoire familiale : ancien zouave pontifical, il symbolisait cette fidélité à Rome et à la foi.

Dès lors, tout hommage qui n’insistait pas assez sur cette dimension religieuse avait des allures de trahison.

Adrien Delon, jeune instituteur laïque, a sans doute voulu bien faire. Mais son discours, truffé de grandes phrases et de références vagues, fut jugé plat, maladroit, presque ridicule. La Croix de la Lozère le publie en détail pour mieux s’en moquer, phrase après phrase, avec une ironie mordante.

Le journal ne lui épargne rien : pédantisme, confusion, oubli de l’essentiel. À travers lui, c’est toute l’institution scolaire républicaine qui est attaquée, accusée d’ignorer la foi et de mépriser les traditions religieuses.

Un reflet des tensions nationales

L’épisode de La Malène n’est pas seulement une querelle de clocher : il illustre parfaitement le climat tendu qui règne alors entre l’Église et la République.

Depuis les lois scolaires de Jules Ferry (1881-1882), l’instituteur est devenu une figure centrale du village, chargé non seulement d’enseigner à lire, écrire et compter, mais aussi de transmettre les valeurs de la République. Face à lui, le prêtre reste un repère moral et spirituel, soutenu par une presse catholique locale très active, comme la Croix de la Lozère. Les deux figures — l’instituteur et le curé — symbolisent deux conceptions du monde qui coexistent difficilement.

Dans les campagnes, cette rivalité se cristallise souvent autour d’événements de la vie quotidienne : un enterrement, une fête locale, une élection municipale. L’instituteur Adrien Delon, en prononçant un discours trop “laïque” sur la tombe d’un ancien zouave pontifical, se place de facto dans le camp républicain, au grand dam de ceux qui voulaient voir exaltée avant tout la foi du défunt. D’où la riposte cinglante du journal catholique, qui se moque de son style, l’accuse de pédantisme et souligne son absence de ferveur religieuse.

Les Gorges du Tarn, terre profondément marquée par le catholicisme, a connu de fortes résistances face à cette “école sans Dieu” qui venait concurrencer l’influence de l’Église. On retrouve ici un exemple concret de cette lutte d’influence : à travers un simple discours d’enterrement, ce sont deux visions de la société qui s’opposent, chacune tentant de rallier l’opinion publique.

L’écho est national : à la même époque, de nombreux journaux, tant républicains que catholiques, relaient ce type de polémiques locales. L’affaire Delon, au fond, n’est qu’une variation lozérienne d’un conflit beaucoup plus large : celui de la laïcisation progressive de la société française, qui culminera quelques années plus tard avec la loi de séparation des Églises et de l’État (1905).

Au final, l’affaire Delon fait sourire autant qu’elle illustre son époque. L’instituteur n’a sans doute voulu que rendre hommage à un notable du village, mais sa prose trop “républicaine” l’a propulsé malgré lui au cœur d’une bataille idéologique.

On imagine sans peine les discussions animées à la sortie de la messe ou au café du village : les uns applaudissant la vigueur de la presse catholique, les autres défendant “leur” maître d’école, héros malgré lui d’une joute oratoire.

Adrien Delon, lui, restera “vilipendé par les cathos”… mais peut-être aussi un peu amusé de voir qu’on parle encore de lui plus d’un siècle après.

Je vous laisse découvrir l'article en question !

18930226 croix lozere delon
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